Du cœur au ventre

Longtemps je me suis couchée de bonne heure j’ai eu peur de ne jamais avoir d’enfant. Pour de réelles et solides raisons. J’étais tombée à onze ou douze ans sur quelque chose que je n’aurais pas dû lire, et je n’osais poser de question à personne, par peur de peiner mes parents, et de recevoir la confirmation que j’avais bien compris ce que j’avais lu. Dans le même temps, je n’ai jamais pu imaginer, planifier ma vie dans l’idée que je ne serais pas mère. J’avais donc rangé le souvenir de cette lecture quelque part dans un coin, je savais qu’il était là, mais je refusais d’en tenir compte quand je me projetais dans le futur. Une vie sans enfant n’était pas envisageable. Toute comme une vie sans sexe.

À l’âge où tout s’est mis en place pour que faire un bébé soit enfin possible, mon angoisse et mes espoirs se sont télescopés pour donner un mélange explosif. C’était l’heure de vérité. Soit ça passait, soit ça cassait. C’est moi qui me serais brisée en mille morceaux si mes espoirs avaient été déçus - sachant que par dessus le marché, les portes de l’adoption me sont fermées. J’aurais sûrement recollé les morceaux et reconstruit ma vie autrement, parce qu’elle avait déjà du sens quand j’étais nullipare, et que j’aurais pu cultiver ce qui me restait, mais je range le mal d’enfant dans les maux les plus douloureux qu’il est possible de vivre.

Bien entendu, je ressens une empathie particulière pour toutes les personnes qui en souffrent. L’adoption, la FIV sont des parcours du combattant - quand on y a accès. Et là, on arrive au sujet qui m’amène aujourd’hui : le recours à une mère porteuse, dont on parle de temps à autre et de plus en plus ici et là.

Jusqu’où peut-on aller pour avoir un enfant ? On dirait le titre d’un reportage M6 mais je me demande si moi, en dernier recours, j’aurais été capable de louer le ventre d’une inconnue contre salaire.
Souvent on préfère parler d’indemnités, arguant qu’on ne paye pas pour la location de l’utérus, mais en dédommagement des désagréments occasionnés par la grossesse. On espère ainsi qu’on le fait par altruisme, et non pour de l’argent. En Ukraine une femme touche l’équivalent de 10 ans de salaire pour porter l’enfant de quelqu’un d’autre. 10 ans de salaire. De l’altruisme, hein ? Mais qui se propose, qui n’a pas besoin d’argent ? Vendre son corps, pas pour 20 minutes, mais pour 9 mois 24h/24, mettre sa vie en danger, risquer des complications variées, de l’épisio qui dégénère en incontinence fécale à heu… la mort sur la table d’accouchement. Qui va le faire pour le plaisir de contenter un couple inconnu ? Et quelle est la valeur marchande d’un tel service ?

On va dire que ça fait partie de la liberté individuelle pour ses femmes de louer leur utérus. Moi qui suis déjà choquée par les extensions en cheveux naturels, ça me fait un peu mal aux seins, cet argument. La liberté, c’est beau, mais peut-on autoriser les gens à disposer des parties de leur corps comme d’un bien matériel commercialisable ? La loi française stipule que « aucun paiement, quelle qu’en soit sa forme, ne peut être alloué à celui qui se prête au prélèvement d’éléments de son corps, ou à la collecte de ses produits ». C’est ainsi que le don d’organe, de sang ou de lait maternel est un acte libre et gratuit.

Elles ont besoin de cet argent pour vivre, tout comme les Indiens qui vendent leur rein ? Il faut leur laisser cette possibilité de s’en sortir ? C’est cela que l’on propose aux pauvres, de monnayer leur corps pour survivre ? N’est-elle pas indigne, une société si inégalitaire qu’elle conduit les pauvres à vendre leur corps aux riches ? Il est vrai que ce mode de fonctionnement en arrange certains. Changer les choses revient à modifier complètement la marche du monde.

Et pour quoi achète-t-on la grossesse d’une femme ? On nous parle de “la seule chance pour certaines femmes d’avoir un enfant”. Pourtant, l’adoption existe. C’est si important d’avoir un enfant avec ses gènes à soi ? Oui, c’est rigolo quand les gens nous font remarquer à quel point Nibbler nous ressemble. N’empêche que mes trois cousins et cousines adoptés ont toujours été et seront toujours MES cousins, et les enfants de mes oncles et tantes. Je ne trouve pas le “plus produit” d’une gestation extérieure, en tout cas rien qui surpasse l’inconvénient majeur d’exploiter une étrangère jusque dans ses muqueuses.

En France, il se pratique des dons de reins de donneur vivant. Le don est strictement gratuit et ne peut provenir que de la famille ou d’une personne vivant depuis au moins deux ans avec le receveur. Le corps n’est pas monnayé. La commune humanité et - on le suppose - l’amour ou l’altruisme sont les seules motivations du donneur. En cherchant à me renseigner sur le don d’organe, j’ai trouvé une publication* qui signale que “la motivation des donneurs est toujours très forte, les regrets après le don sont rares et les relations entre donneur et receveur sont après la greffe généralement bonnes et renforcées.”

Dans le même esprit, je vois d’un bon œil qu’une sœur, une cousine, une amie proche porte l’enfant d’un couple avec lequel elle entretien un lien affectif : un don qui peut être un acte d’amour. Le lien est conservé avec l’enfant, qui connaît son histoire. Il sait d’où il vient, elle sait où il va. Bien sûr, il peut exister des jalousies, des pressions au sein de la famille (dans le cas du don de rein, le donneur est examiné sous toutes ses coutures psychiques pour vérifier qu’il est bien libre). Mais je ne ressens pas l’indignation et le dégoût que m’inspire la location rémunérée d’un utérus. Tout comme je suis pour le don d’organe, et révoltée par le trafic d’organes. Techniquement identiques, humainement opposés.

Cela vient probablement de ma conception un peu élastique des liens familiaux. Comme je l’ai dit, j’ai trois cousins adoptés. Deux autres ne sont pas biologiquement mes cousins. J’aime comme un frère et une sœur des gens qui n’ont pas les mêmes parents que moi. Ce n’est finalement pas si important pour moi de savoir qui est génétiquement lié à qui. Si je le pouvais, peut-être que je voudrais porter l’enfant de ma sœur. Il serait son enfant, à elle. Mais j’aurais fait ça pour elle, et j’aurais une raison d’aimer mon fœtus.

Autrement dit, je souhaite que l’on soutienne l’adoption autant que possible, y compris pour les couples homos. Pour ces derniers, donner un cadre aux situations de coparentalité, qui existent dans la vraie vie, mais pas pour la loi. Envisager le don de grossesse en s’inspirant du don d’organe avec donneur vivant. Mais ne permettre en aucun cas le commerce humain, qui ne profite qu’aux riches, et qui entache l’humanité de la société tout entière.

Alors, un enfant n’est pas un rein. Ne dit-on pas d’une chose qui coûte très cher, que “ça coûte un rein” ? Un enfant ne vaut-il pas infiniment plus qu’un organe inerte ? Bien sûr que si. Et c’est pourquoi on ne peut que le donner, et non le vendre.

* Michèle Kessler, Aspects psychologiques de la transplantation rénale avec donneur vivant
Néphrologie & Thérapeutique
Volume 4, Issue 1, February 2008, Pages 52-54

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Maggie

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05 2010

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  1. 1

    Tiens, je suis vachement étonnée que cet article fasse un tel bide. (huhu. bide.) Ils sont où les gens ? Pourtant il était bien cet article.
    Mais tu vois, pour une fois je suis pas d’accord avec toi.

    Bien sûr je te rejoins sur plein de choses. Le mal d’enfant, toussa toussa. Et puis l’adoption, le fait que désirer “faire” un enfant n’est rien à côté du désir d”avoir” un enfant. Cette course au biologique me semble assez futile dans la plupart des cas. Enfin non, futile c’est pas juste, je comprends ce désir, cette douleur, mais il y a certains problèmes qu’on entretient en refusant les solutions qui se bousculent au portillon…

    Bref.
    Là où j’ai plus de mal avec ton article, c’est sur ta vision uniquement marchande de la GPA, uniquement exploitante, dominé/dominant…
    Tu demandes “Qui va le faire pour le plaisir de contenter un couple inconnu ?” et ben moi par exemple. Dans l’absolu, bien sûr. Seulement si je sais que mon corps réagit bien aux grossesses, bonne santé générale, si j’ai eu tout mon saoul d’enfants à moi, que je suis sûre de ne plus en vouloir, etc. Mais dans l’absolu je trouve l’idée super séduisante, c’est un des plus beaux actes d’amour désintéressé qui soit. Je crois que je me sentirais bien dans mes baskets, d’avoir fait ça. Et je ne veux pas d’argent, si ce n’est bien sûr les frais directement liés à la grossesse qui seraient pris en charge par les parents. Et moi, pauvre petite fille occidentale donc riche, je serais aussi heureuse de faire ça pour des Ukrainiens que pour des Ougandais…
    Quant au lien qui se crée avec l’enfant pendant la grossesse, je ne l’ai pas encore vécu et je me trompe peut-être, mais je crois que ce qui se noue pendant la vie est bien plus fort. Que penser des familles d’accueil qui prennent sous leur aile un môme pendant toutes ses années de petite enfance, sont parents de substitution, temporaires, et doivent ensuite le laisser à ses “vrais” parents ? Le lien créé me semble encore plus déchirant, et pourtant c’est beau, et tout le monde s’en remet…
    La GPA pose beaucoup de questions légales et psychologique, de possibles dérives, mais je trouve ça dommage de condamner ça tout entier. Je suis pour un encadrement humain et législatif très étudié, mais j’aimerais que pour certains, cette jolie porte reste ouverte…

    (Par contre, je trouve ça plutôt malsain de faire ça avec des proches, le geste est tout aussi beau et fort, bien sûr, mais la situation future du gosse/neveu, de la mère/tante et de la tante/mère me semble très trouble et source de nombreux problèmes identitaires et d’attachement…)

  2. Maggie #
    2

    Bin écoute, je ne sais pas. Peut-être que les gens ne sont pas d’accord avec moi, mais que contrairement à toi, ils n’ont pas le courage de me le dire. C’est vrai que je suis une baronne de la blogosphère, personne ne peut me contredire, sinon j’unfollow les gens sur twitter et je sacrifie des bébé koalas…
    Ou plus probablement, peut-être que les gens n’en ont rien à foutre. Ou bien ils sont morts. Vous êtes morts les gens ?

  3. 3

    J’ignore pourquoi je ne lisais plus la fille aux craies ; après 3 articles, je sais pourquoi à présent je te relirai, avec plaisir et plus de constance.

    Je partage ton point de vue sur les mères porteuses ; je serai même plus violente : il s’agit hélas de quelque chose qui approche la prostitution, louer son corps pour… quel qu’en soit le motif. Je ne dis pas qu’il ne faut pas une certaine noblesse ou abnégation pour le faire, mais pour en bénéficier, ne faut-il pas être tombé bien bas et ne voir en l’autre qu’un objet ?

    Je partage aussi ton point de vue sur l’adoption, les liens génétiques ne remplacent jamais les liens du coeur, et la famille ne s’arrête pas aux liens du sang.
    En revanche, je suis pour qu’un enfant “né sous X” puisse, tant que faire se peut, connaître ses ascendances au plan médical : il sera peut-être plus facile de le soigner ou de prévenir une maladie que son hérédité permet de prévoir ou d’expliquer.

    En tout cas, merci pour cette argumentation riche, saine et documentée.

  4. 4

    Ils arrivent lentement les gens ;-) Et tu vois sur cet article j’ai envie de commenter plus que de réagir.
    C’est bien écrit, c’est vrai, et ça touche non pas un mais au moins 3 ou 4 sujets “sensibles” et tabous parfois.
    Oui, le mal d’enfant j’ai connu, un peu comme toi, j’étais persuadée que je n’en aurais jamais [même si techniquement je n'en ai pas, je sais maintenant que je peux ] Et une fois le rêve sorti d’un coin de sa tête, on se pose beaucoup de questions, du jusqu’à où (je m’en pose toujours et certaines personnes ne sont pas là innocemment sans inciter mes neurones à se tortiller sur des questions sur lesquels ils n’auraient jamais cru se tortiller)
    Avoir un enfant? Je crois que c’est un droit. Mais jusqu’où va le droit d’une personne? On dit que la liberté des uns finit où commence celle des autres. Et où se situe cette fragile et fluctuante barrière?
    Les mères porteuses? Quelque chose en moi a toujours été contre, plus ou moins. sachant qu’il est bien facile de porter un jugement sur un situation quand on n’est pas partie prenante évidemment.
    Avant de penser que je pourrais avoir un enfant, j’étais contre. Il y a l’adoption. Il y a tous ces enfants en mal de parents. Puis quand j’ai commencé à vraiment “tenté ma chance” on dira, j’ai vraiment ressenti cette envie plus que ce besoin [une envie égoiste? Peut être bien] d’avoir mon propre enfant. Peut être que de savoir que je ne pourrais avoir accès à l’adoption a joué sur ce jugement [mais peut être pas en fait]. Car l’envie d’avoir son propre enfant est une sorte d’instinct vieux comme le monde. Et si dans mon inconscient l’adoption était quelque chose d’envisageable et de même louable, je voyais les mères porteuses aux antipodes. Il y avait aussi l’envie de porter mon enfant et d’être enceinte, et cela est encore différent.
    Sur ta vision des choses, je te rejoins plutôt même si je n’ai jamais porté le raisonnement aussi loin.
    Dans les mères porteuses, pour moi il n’y a la notion d’achat. On achète un enfant. Cela me parait inconcevable. Tout comme acheter de l’amour. Certaines choses ne peuvent se monnayer car elles ne sont tout bonnement pas monnayables. Et payer une mère porteuse vient à “louer” un être humain. Je trouve l’idée assez répugnante. Inhumaine. En même temps je peux comprendre les couples taraudés par un désir d’enfant qui y ont accès si partout autour d’eux c’est légal et concevable. Il y a influence.
    Quand au don, c’est une autre question. C’est une merveilleuse chose.
    Et quand aux droits des homosexuels, c’est un sujet sur lequel la France montre à quel point elle est arriérée….



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