Petite rediff de circonstance puisque février, c’était le mois de mon anniversaire et de celui de mon Papy…
Edit, lundi matin : coïndidence triste mais pas inattendue, nous avons perdu Beau-Papy hier au soir… Plus de vieux monsieur dans notre vie désormais…
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Mon Papy. Il ne me prenait pas sur ses genoux pour me lire des histoires. Il n’achetait pas le Journal de Mickey. Il ne me donnait jamais de caramels en me disant que j’étais quelqu’un d’exceptionnel.
Sa tenue de tous les jours, c’était une veste et un pantalon en bleu de travail, des bottes, et un béret. Il ne mettait son dentier que le dimanche.
Je me souviens qu’il ne mangeait pas la croûte du pain, il la lançait à la chienne, qui l’attrapait au vol dans un claquement de dents, tandis qu’il faisait tremper la mie dans sa soupe. Il traitait Hermine de “chienne de luxe”, parce qu’elle ne savait pas guider les vaches, et qu’on lui avait épargné la noyade pour qu’elle devienne chienne de compagnie à Paris ; mais Hermine, angoissée de nature, ne s’était jamais faite à sa vie citadine et était bien vite rentrée à la campagne.
Il fallait se lever très, très tôt pour traire, alors la sieste était de rigueur, après le dîner*. A ce moment-là, le silence était requis. Papy et Mamie faisaient la traite deux fois par jour, et jusqu’à leur retraite, j’aimais aller avec eux à l’écurie**, en fin d’après-midi, pour me vautrer dans la paille et me faire lécher les doigts par le veau. On trayait à la main. Les vaches avaient toutes un prénom, Etoile, Clémence, Primevère… Je regardais le lait tout chaud que ma grand-mère versait dans de gros bidons en alu (j’en ai gardé un, qui pose au salon. Son anse tinte dans un charmant bruit de ferraille). Je ne buvais pas le lait. Je n’ai jamais aimé ça, et puis ça m’aurait fait mal au ventre.
Mon Papy. Quand j’étais très petite, à table, il papillonnait des yeux pour me faire rire. Le dimanche, on allait se promener, lui, moi, et les chiennes. C’est lui qui m’a appris que, sur les sapins, les pousses de l’année sont plus claires que les autres. Et plein d’autres choses de ce genre. Des fois, je me cachais et il demandait à Houlette de me chercher. Un jour, j’ai suivi Hermine à travers un buisson de ronces. J’ai appris à regarder où je mettais les pieds. Quand on croisait quelqu’un, mon Papy pouvait parler pendant une éternité.
Plus tard, je n’ai plus trop aimé les promenades. Mais on aimait toujours les mêmes séries. Ensemble, on regardait “Tatort”, “Le Magicien” et “Shériff fais moi peur”. Il venait me chercher quand je musardais dans la bibliothèque, à l’étage: “Tu viens ? C’est l’heure des Duke!”, et je dévalais l’escalier.
Je me rappelle un sketche qui l’a fait rire au larmes, alors qu’il était déjà très malade et que le quotidien n’était pas riant, ni pour lui, ni pour Mamie, ni pour personne. Je me souviens que la dernière fois qu’il a vu le chien, il avait l’air vraiment heureux. C’est aussi la dernière fois que je l’ai vu, je crois. Un jour que les parents étaient partis faire la visite à la maison de repos en nous laissant seules, Couz et moi, on a réussi à s’enfermer dehors bêtement et j’ai dû monter avec l’échelle dans la chambre du premier, par la fenêtre ouverte. J’avais 12 ans, et j’adorais grimper.
Ensuite, Papy est mort, et je me suis retrouvée à recevoir des condoléances devant sa tombe, avec mes cousins plus jeunes tout autour de moi, comme une poule au milieu de ses poussins. Je me rappelle avoir eu un mouvement de colère devant son cercueil, traversée par une idée absurde : ils l’ont mis dans une boîte. Il ne se serait jamais laissé mettre dans une boîte. Je n’ai pas pleuré. J’avais toujours 12 ans.
Jusqu’à l’âge où j’ai commencé à vouloir faire la fille, j’ai beaucoup porté certaines de ses chemises à carreaux.
Il paraît que quand je suis née, je lui ressemblais énormément.
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* En Savoie on a tendance à dire “dîner” pour “déjeuner”.
** Et on ne dit pas “étable”, on dit “écurie”.