Archive for janvier, 2011

“Leçon de vie” : et mon cul, c’est du poulet ?

Je ne sais pas pour vous, mais chez moi, il y a des boutons sur lesquels il ne faut pas appuyer. Par exemple, quand la gosse avait 5 mois, il ne fallait absolument pas venir me faire remarquer qu’elle était chauve du dessus de la tête, sans quoi je me mettais à hurler la bave aux lèvres que NON PAS DU TOUT ET ELLE EST TRÈS JOLIE D’ABORD. Maintenant qu’elle a trois ans et qu’elle arbore une couette blonde digne d’un petit poney, je peux admettre devant l’album photo que oui, elle était effectivement chauve MAIS QU’IL RESTAIT DES CHEVEUX SUR LES CÔTÉS quand même.

Outre ce sujet délicat, il existe trois mèmes qui me font complètement sortir de mes gonds :

1/ “Il n’y a qu’une seule race : la race humaine” parce que c’est l’ESPÈCE humaine, merde.

2/ “Tu vas pas habiller ton fils en rose ! Tu vas en faire un…” - un QUOI ? Il en faut, des patineurs artistiques, bordel.

3/ Entendre à propos d’un malade/handicapé/enfant cancéreux les mots suivants : “leçon de vie”, “battant”, “courage”.

A tel point que l’autre jour, quand quelqu’un a parlé de “leçon de vie” sur twitter, je n’ai pas pu faire autrement que de manifester ma désapprobation - poliment, parce que même quand je convulse d’indignation, j’arrive à rester attentive à mon prochain ; l’approche de la trentaine, sans doute. Et on m’a répondu - poliment - que je me trompais (grosso-modo). Comme je convulsais encore, je n’ai pas réussi à expliquer mon point de vue en 140 caractères (parce que Twitter est limité à 140 caractères, ce qui est très pratique pour faire la révolution mais beaucoup moins pour aborder les choses essentielles de la vie). Une fois la crise passée, j’ai constaté que je n’arrivais toujours pas à expliquer mon point de vue en 140 caractères. Et finalement, je me suis rendu compte qu’en fait, je ne savais pas exactement pourquoi cette expression m’énerve autant. Comme je n’aime pas ne pas comprendre quelque chose, surtout quand ça se passe sous mes cheveux, j’ai cogité pendant une semaine. Et je pense que j’ai trouvé quelques bonnes raisons - et en effet, ça ne tient pas en 140 caractères.

Pourquoi je n’aime pas entendre à propos d’un malade/handicapé/enfant cancéreux les mots suivants : “leçon de vie”, “battant”, “courage” ?

1/ Parce que ça pèse des tonnes

Imaginez. Vous avez 10 ans et une leucémie. Vous avez 20 ans et une mucoviscidose. Vous avez 30 ans et une amyotrophie spinale. Vous faites avec parce que quoi ? Vous allez pas vous suicider, hein ? Vous allez pas pleurer non plus toute journée, si ? Vous allez pas penser à ça jour et nuit, pas vrai ? Bon, alors vous menez votre vie comme vous pouvez, profitant de ce que votre corps vous laisse faire, et parfois, oui, vous êtes courageux parce qu’il y a des soins douloureux, le regard des autres, la peur de la mort et il faut affronter tout ça mais vous allez pas non plus vous laisser mourir par peur des piqûres, n’est ce pas ? Et vous êtes courageux aussi parce que vous voyez l’angoisse de votre entourage et vous prenez tout sur vous pour protéger les gens qui vous aiment. Tout ça, c’est lourd, plus lourd que le cercueil de Marianne James. Et les gens qui vous croisent, qui ne vous connaissent pas, sont épatés par votre courage, votre joie de vivre, votre force. Ils prennent une leçon de vie. Mais vous, qui trimballez votre déveine tel Joe Dalton qui traîne son boulet, avez-vous besoin de voir briller dans les yeux des inconnus la leçon de vie que vous êtes pour eux ? Avez-vous besoin de cette admiration, de cette compassion, de cette pitié ? Non, vous n’en avez pas besoin. Le reste est déjà assez gonflant pour que vous puissiez vous payer le luxe de servir d’exemple à toute la populace. Car qui dit leçon, dit exemple. Qui dit exemple, dit exemplaire. Donc le jour où vous en aurez vraiment, vraiment marre, le jour où vous en aurez assez d’être courageux, que vont dire ces gens qui vous admiraient tant ? Et vos proches, seront-ils toujours à vos côtés si vous n’arrivez plus à être fort ? Est ce qu’on vous fuira, chassé par l’odeur du malheur ? Est ce qu’on vous soutiendra, ou bien on s’effondrera avec vous ? Et ceux qui auront pris leur leçon de vie grâce à vous, ils seront où quand vous serez sur les rives du Styx ? Réponse : ils seront dans leur cuisine en train de se préparer un Nespresso, et continueront leur vie comme avant en faisant les mêmes choix qu’avant, parce que votre leçon, ils l’auront déjà oubliée.

2/ Parce que c’est très surfait

Oui, le mucoviscidosique est courageux, mais pas tout le temps. Il peut même passer sa (courte) vie à se plaindre sur facebook. Le petit leucémique est courageux, mais parfois pleurnichard et odieux avec les infirmières. Oui, le myopathe est courageux, mais il peut aussi jouer à World of Warcraft 24h/24 sans rien faire de sa vraie vie, et ça peut aussi être un vrai con. Et je dirais, tous les trois ont bien raison. On ne devient pas un petit saint parce qu’on a une maladie grave. On ne devient pas sympa parce qu’on va peut-être crever. On ne fait pas de bons choix de vie parce qu’on a vaincu le cancer. C’est pas parce qu’on est différent qu’on est plus intelligent. Mais du coup, la leçon de vie, là, je me demande en quoi elle consiste. Si seulement ça amenait les gens à traiter ces personnes-là comme n’importe quelle autre personne ! Mais non, les gens ne voient que votre courage supposé et leurs yeux brillent tels ceux du Chat Potté de Shrek.

3/ Parce que c’est tenter le diable

Vous ne pouvez pas savoir combien il est tentant d’abuser de son état de grand corps malade pour obtenir un massage / se faire pardonner d’un truc / devenir célèbre. Alors quand on voit briller l’admiration des autres pour notre courage, on a bien envie d’en profiter. Ce qui est mal, parce que le jour où vous aurez vraiment besoin d’un massage ou de vous faire pardonner d’un truc, votre demande n’aura peut-être pas la même force si vous en avez abusé auparavant. Et si vous devenez célèbre grâce à votre plume / superbe châssis / talent pour la chanson, tout le monde murmurera que vous ne le méritez pas et que vous n’avez de succès que parce que les gens ont pitié de vous.

J’espère que comme ça, ça paraît plus clair. Vous remarquerez que je suis cohérente avec mes propos, parce que je tiens ce blog depuis plus de 6 ans et pas une seule fois je ne vous ai parlé de ma mucoviscidose. J’ai voulu le faire à plusieurs reprises, et ce dégoût de la leçon de vie que je ne veux pas être pour vous m’en a empêchée. Je voulais que vous me lisiez pour ce que j’avais à dire, si et seulement si mes articles étaient bons, et pas parce qu’ils étaient écrit par une pauvre grande malade. Et j’aimerais bien que ça continue comme ça, donc le premier qui parle de courage dans les commentaires, je lui enfonce ma joie de vivre au fond de la gorge jusqu’à ce qu’il goûte aux poils de mes aisselles.

Par contre, vous n’avez pas intérêt à vous barrer ou à m’unfollow sur Twitter, bande de petits eugénistes !

Edit : elle dit la même chose que moi, en plus court et en mieux (et elle a pris le titre auquel j’avais pensé au départ ^_^) :

http://www.labouseuse.fr/2011/02/lecon-de-vie-mes-fesses/

Et puis lui aussi :

http://xave.org/post/2011/02/01/des-nuages

Et elle :

http://ledesor.net/?post/2011/02/01/Le-jaspe-vert-des-solitudes

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01 2011
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