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Les rêves homologués

De nos jours, une jeune femme moderne qui tient un blog doit aimer les bottes vintages pas étanches, porter une grosse frange, faire de la retape pour un max de sextoys et vomir sur les petites vies bien rangées des gens qui osent cultiver une vie de couple et/ou de beaux enfants blonds/bruns/roux/chauves et, pire : qui aiment ça.

Je reconnaît bien cet esprit auquel j’ai été confrontée très tôt, jusque dans ma propre famille (hum), esprit qui se veut follement subversif et qui se révèle après deux coups de cuiller cruellement conventionnel.

Ça commence à 16 ans, quand vous parlez de votre meilleur ami (hétéro) avec qui vous ne couchez pas. Les gens essayent de garder leur sérieux mais vous voyez bien qu’ils se moquent. Enfin, vous allez forcément coucher ensemble ! Les gens savent tellement mieux que vous ce qui va vous arriver. Vous n’avez que 16 ans, vous ne savez rien de la vie, même pas de ce que vous voulez. Rêver d’un garçon pour ami, si c’est pas un plan à la con !

À 17 ans, vous cherchez votre voie, vous n’avez pas trop trop envie de faire des études pendant un million d’années pour finir expat’ parce qu’il n’y a pas de boulot en France, vous pensez à optique - oh, pendant au moins un demi-quart-d’heure - on vous répond que mais, vous n’allez quand même pas faire un bac+2 de merde ! Vous dites “fleuriste”, on s’esclaffe : fleuriste, avec vos notes ! Non non non, il faut faire une prépa et une grande école, avec ça vous aurez un super diplôme et vous serez HEU-REUX.

À 19 ans, quand vous vous fiancez, on s’effarouche, mais enfin, des garçons il faut en essayer plein avant de trouver le bon, s’amuser, profiter de sa jeunaisse. Comment, vous n’allez pas habiter ensemble ? Petits bégueules, allez ! Vous ne gagnez pas votre vie et vous étudiez à plusieurs centaines de kilomètres l’un de l’autre ? Ne soyez pas de mauvaise foi. De nos jours, il faut habiter ensemble, pour se tester, voyons.

À 22 ans, vous vous mariez - vous gagnez votre vie depuis peu. Tous vos collègues se gaussent. Vous rêvez de vous marier juste pour la robe (on a du vous voir en robe environ 15 minutes au total depuis la fin de l’école primaire). Se marier, ça sert à rien. Tenez, regardez Eric, il s’est marié quand il a voulu acheter une maison. Vous êtes tellement jeune, de toute façon, vous ne savez pas ce que vous faites. Vous n’avez JAMAIS habité ensemble ???? Mais COMMENT vous allez savoir si vous allez vous entendre ?

À 29 ans, mère au foyer - donc : qui ne peut parler que de son gosse et dont le cerveau est tout ramolli parce qu’en dehors d’un travail de bureau il n’existe aucun moyen de faire fonctionner son intelligence - je suis le prototype de la fille rangée qui effraie tant les vingtenaires branchées.  J’ai en effet une vie de souffrance et de douleurs, à regarder Totoro en mangeant des BN, faire du vélo au soleil et monter avec Nibbler dans le petit train du parc Mistral. Je m’ennuie horriblement avec mon mari, depuis 12 ans (oui, finalement, on s’est bien entendu) qu’on s’aime béatement, c’est intenable. Mes amis sont prodigieusement barbants : pas un seul ne se drogue, et jamais de querelles de cul ! Et puis, ils sont bien trop nombreux, il faut leur payer à bouffer, à boire et des malabars avec des tatoos dedans, la plaie. D’ailleurs, je ne m’achète presque jamais de fringues, c’est tout à fait symptomatique de mon aliénation mentale.

Nonobstant,  j’ai encore quelques cartes pour faire un peu chier le monde. J’ai pratiquement fini de saboter toute éventuelle carrière, mais si on me demande avec trop d’insistance quand je compte bosser à nouveau, je sors ma botte secrète : j’aimerais surtout continuer de faire du bénévolat. Du bénévolat, holala ! Mais il ne faut pas se faire exploiter ma petite dame. C’est vrai que dès lors qu’on est salarié, on ne se fait plus exploiter du tout. Et moi j’aime prendre mes vacances quand j’ai envie, dix fois par an. Et on n’a PAS besoin d’un second salaire (que je ne pourrai pas garantir de toute façon).

Et puis il y a le coup de l’habitat partagé. Depuis que j’ai emménagé dans un immeuble où les voisins ne disent jamais bonjour, je me mets à rêver à une grande maison pleine de gens différents qui se donnent des coups de mains et partagent la perceuse et (sacrilège !) peut-être même (attention) la voiture. Là, c’est le bouquet. Enfin, un truc pareil, ça ne peut pas marcher, ça ne peut pas bien se passer, ce n’est pas raisonnable. Mais ça ne me fait pas rêver d’acheter une maison individuelle - Mais ce n’est pas une question de rêve, acheter c’est épargner, m’a t-on dit la semaine dernière.

Ok. J’ai pigé. Dans la vie, tu as le droit de rêver à trois trucs :

1/ Être alcoolique jusqu’à 30 ans
2/ Se marier - mais JUSTE pour acheter une maison
3/ Acheter une maison - mais JUSTE pour épargner

Et tu peux éventuellement prendre un crédit pour ta télé HD, ça fera plaisir à tout le monde.

Par contre si tu rêves d’un truc un peu original, un peu pas de ton âge ou un peu pas pour l’argent, on te regarde comme si t’avais dit “levrette”. Passé le premier hoquet de surprise, on te promets que ça ne se réalisera pas. Alors, toi, tu te tais… Tu penses à toutes ces choses qu’on t’avait promises, et tu te rappelles que non, les gens ne savent pas mieux que toi ce qu’il va t’arriver, et tu les laisses croupir au purgatoire des rêves homologués.

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04 2010
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