Le bon gars

Voilà plusieurs semaines qu’il me démange d’écrire un article sur le féminisme.

Tout a commencé quand j’ai acheté Elle, en novembre, dans l’optique de le découper pour faire un bricolage (de bon goût incertain) à offrir à ma belle-sœur pour son anniversaire. Bien sûr, je l’ai quand même survolé avant, étant une lectrice compulsive adepte des verso de paquets de céréales. J’ai bien ri, bien que jaunement, et j’ai failli en faire un post, mais j’ai eu peur d’accorder trop d’importance à un phénomène dont j’avais déjà parlé, et puis c’était bientôt Noël, j’avais un bricolage à faire, et la flemme de tout. Pour résumer, j’ai ri d’un article sur les “nouvelles féministes”, qui “étaient féministes” (c’est un minimum), mais n’étaient pas pour autant “moches, vieilles et frigides” - je résume - (donc les féministes sont par défaut moches, vieilles et frigides ?), et qui “aimaient le shopping” (sous-entendu : comme les vraies femmes). J’étais un peu gênée de voir le féminisme ainsi défendu contre des clichés dont je ne savais pas s’ils étaient finalement combattus ou bien instillés dans l’esprit du lecteur(trice) par une telle justification. J’étais évidemment colère de voir la conso érigée en caution de santé mentale. J’étais une fois de plus navrée de voir qu’un journal se disant féministe faisait cohabiter cette prétention avec des sujets de fond du type “notons la tenue de cette vedette” ou “comparons trois actrices qui portent la même robe”, entre deux pubs vantant la jeunesse et la minceur. Toujours le même topo, donc, et rien qui ne me rende l’envie de lire des magazines “féminins”.

Mine de rien, ça me trottait dans la tête, et j’avais quand même envie d’écrire ici que le féminisme, je ne sais pas bien ce que c’est. Je n’ai rien étudié sur la question, je ne sais rien. J’ai une vague idée du travail des militantes qui ont obtenu le droit de vote, le droit de ne plus être mineure à vie, le droit à la contraception et à l’avortement. Je sais que les chiffres montrent que les femmes ont plus de mal à faire une carrière et à être bien payées, et qu’elles se tapent le plus gros des tâches ménagères. Cependant, depuis ma vie à moi, tout cela paraît extrêmement lointain. Principalement parce que je suis la bénéficiaire chanceuse de l’évolution des mentalités. Élevée par un couple hétéro, je n’ai reçu en héritage aucun stéréotype sexuel concernant le comportement général ou le partage des tâches. J’ai toujours vu mon père cuisiner, passer la serpillère, peindre des fleurs sur des assiettes. J’ai toujours vu ma mère réparer la chasse d’eau, faire les comptes et se passionner pour l’informatique. Mes deux parents m’accompagnaient chez le médecin, faisaient mes tresses pour aller à l’école et se partageaient indifféremment nos deux voitures. Je voyais parallèlement que les choses ne se passaient pas toujours de la même façon ailleurs, et j’en ai déduit que les gens, hommes ou femmes, pouvaient avoir toutes sortes de rôles et de centres d’intérêt.

Avec Doudou, même topo. Bien qu’il travaille, et moi non, il se tape au moins la moitié des corvées domestiques. Il fait à manger, range la cuisine, descend les poubelles, va au Leclerc, et il a récemment investi le secteur de la lessive, qui est à l’origine mon territoire personnel. Comme il pèse 80kg et moi 40, dès qu’il y a un truc à porter, c’est pour lui. Avec Nibbler, il est aussi compétent que moi, change les couches, rince les couches lavables pleines de caca, a préparé les biberons, peut habiller le monstre et se montre extrêmement généreux en câlins, y compris la nuit. Intellectuellement, nous sommes sur un pied d’égalité incontestable. Je n’ai pas mon mot à dire dans les décisions qui concernent notre couple ou notre famille : elles sont forcément conjointes et nous fonctionnons comme un seul homme Homme.

Quant au monde du travail, je n’ai hélas pas d’expérience négative à ce niveau, n’ayant travaillé que peu de temps (3 ans au total) et dans des milieux très féminins (labo de recherche, association). J’ai juste ricané le jour où le disjoncteur a sauté et que toutes mes collègues couraient en tous sens en réclamant, éplorées, “un homme ! un homme !”. Rien de très grave, et surtout, rien à part une incapacité autogène.

Ceci explique pourquoi je me sens naturellement peu concernée par les combats du type “tous des salauds” et par les romans d’Etxebarria (ou les hommes sont soit des pères violents, soit des maris cocufieurs, soit de gentils homosexuels). Autant vous dire que ça m’a fait du bien de tomber sur deux lectures, le mois dernier. La première était un article dans le Monde Magazine sur Marc Lépine, assorti d’un panorama du masculinisme passé et présent. Le second était ce site web (j’en parle ici) se réclamant de la religion catholique, tendance intégriste maladif, dont j’ai compris, à l’éclairage de l’article sus-cité, qu’il était surtout l’œuvre d’un maboul ennemi de la gent féminine. Sans donner le lien et insister davantage dessus, ce qui ne ferait que donner trop d’importance à quelque chose qui n’en vaut pas la peine - et face à laquelle je ne compte pour rien, puisque femme - sachez qu’on peut y lire que “la preuve que l’homme est supérieur à la femme, c’est qu’il pisse debout, tandis que la femme fuit”. Vous avez donc une idée du niveau où se situe le débat, et de la vanité de croire qu’on peut faire changer d’avis ces gens-là.

Il existe donc des dingues qui en veulent aux femmes ; voilà qui calme mon insouciance de petite privilégiée épargnée par la guerre des sexes. Évidemment, je suis aussi au courant pour les femmes battues. Plus généralement et moins pathologiquement, je sais qu’il y a, plus ou moins proches de moi, des hommes qui souhaitent que leur femme reste à la maison ou qui refusent de porter les packs d’eau minérale. J’ai encore la naïveté de ne pas saisir comment on peut faire sa vie avec un pareil individu, et je l’admets sans comprendre. Mais je n’arrive pas à concevoir les rapports entre les sexes comme une guerre qu’il faut gagner.

L’autre jour, et tout l’internet en frétille, France Inter nous a infligé une journée Badinter, à savoir que la philosophe Elisabeth Badinter était l’invitée de presque toutes les émissions entre 8h et 19h, dans le cadre de la promotion de son livre « Le conflit, la femme et la mère ». Une telle plage horaire a permis plus le bourrage de crâne que le développement des théories présentées, car les mêmes idées sont revenues en boucle tout au long des programmes. Faites un tour sur les blogs pour vous faire une idée des réactions nombreuses ; par exemple, celle de NKM qui est personnellement visée dans le bouquin.

J’ai moi-même hoqueté plusieurs fois en entendant que l’allaitement était bon pour les sauvages des pays sous-développés et que l’ont faisait pression inutilement sur les femmes occidentales pour les y contraindre. Déjà, je ne sais pas dans quel pays vit Madame Badinter, mais parmi les nombreuses jeunes mamans que j’ai connues ces dernières années, la plupart n’a même pas essayé d’allaiter, arguant que ça fait mal, que c’est fatiguant et contraignant. Ceci m’a fait le même effet que les enfants que l’on n’a pas élevés dans la religion “pour leur permettre de choisir plus tard” : au final, ils ne connaissent rien et ne choisissent rien du tout. Comme Madame Badinter, je suis tout à fait d’accord pour que les femmes aient le choix entre sein et biberon. Mais comment savoir si a envie d’allaiter quand on n’a pas eu d’exemple, quand on ne sait pas comment ça se passe et quand on ne dispose que de l’expérience de nos mères qui, mal conseillées et dans la mouvance de la mode du biberon, n’ont pour la plupart jamais allaité plus de quelques jours ? Ce que j’ai constaté (ayant pour ma part grande envie d’allaiter pour avoir vu ma tante le faire avec succès et bonheur), c’est un manque terrible d’information des mères, conjoint d’un lourd défaut de formation des professionnels de santé. Pour avoir vécu un engorgement type Pamela deux jours après mon accouchement, je n’ai pas reçu de la part des puéricultrices et sages-femmes DEUX conseils analogues sur la conduite à tenir. Plusieurs de mes copines ont arrêté au bout de deux jours à cause des crevasses, alors qu’il s’agit d’une mauvaise position du bébé qui devrait être corrigée avec l’aide d’une personne qualifiée. Et qu’on ne vienne pas me dire qu’un allaitement raté, “ce n’est pas la fin du monde” (entendu sur France Inter jeudi), car pour une maman qui en avait vraiment envie, il est vraiment triste de ne pas y arriver et elle n’a pas besoin qu’on minimise sa déception de cette manière. Alors, liberté de choix, d’accord, mais pas sans information et sans accompagnement, et l’allaitement n’étant pas une chose instinctive ni facile, il peut demander de s’acharner quelque temps avant d’obtenir un résultat heureux, et c’est peut-être la conservation de cette motivation indispensable que l’on assimile à de la pression. Mais non, ce n’est pas important d’insister, le lait maternisé est là pour nous soustraire à toutes ces horribles contraintes. La conso comme libération, une fois de plus.

Mais en fait, que ce soit contre l’interdiction des échantillons de lait en poudre ou contre la mode des compotes bio maison, rien dans le discours de Madame Badinter ne reste mystérieux lorsqu’on apprend qu’elle est la principale actionnaire du groupe Publicis. Voilà pourquoi le courant écolo-maternant est désigné comme un affreux promoteur de la mère parfaite, celle qui allaite, porte son bébé et cuisine des purées, le vilain avatar qui fait culpabiliser les femmes normales. C’est sûr que quand on ouvre un magazine de puériculture conventionnel type Parents ou Famili, on n’est pas du tout agressé par les publicités vantant “le meilleur lait en poudre pour votre bébé” ou les “petits pots aux meilleures qualités nutritionnelles”.

Il est vrai que les annonceurs qui font de la pub pour leurs écharpes de portages et leurs couches lavables dans Grandir Autrement ne passent sûrement pas par Publicis. Donc, tout s’explique, du coup ce n’est donc pas très grave. Ça me chagrine qu’on tape sur l’écologie active au lieu d’en comprendre les enjeux, mais je m’en remettrai. Ça m’ennuie plus que l’on remballe cette auditrice qui dit qu’elle ne voit pas pourquoi les couches lavables seraient synonymes de retour de la femme aux corvées, puisque son mari à elle exerce pleinement sa capacité de les mettre dans la machine. Madame Badinter lui a répondu qu’elle était de toute évidence une exception, que l’on ne pouvait se servir d’un seul exemple pour absoudre l’idéologie naturaliste et qu’il fallait arrêter cinq minutes de déconner, on sait bien que la majorité des femmes se tapent la majorité des tâches ménagères. Donc, comme la majorité des pères sont des cons qui délèguent, toute préoccupation écologiste est à jeter. On ne peut pas imaginer une seconde que les hommes valent mieux que ça, et qu’ils sont capables d’évoluer ? L’homme qui, comme le mien, prend sa part de corvée, n’est qu’une exception, quelque chose qui ne compte pas, dont on a pas le droit de parler ? Il faut “culpabiliser les pères” ? On ne peut pas plutôt compter sur ceux de nos enfants pour propager un exemple de virilité ménagère ? N’en seront-ils pas capables ?

Non, je ne veux pas voir les hommes comme des ennemis, des incapables, des bons à rien dont on n’obtiendra rien sans passer par la force, fût-elle symbolique. Je préfère leur faire confiance et les laisser se débrouiller entre eux. Car ils sont aussi perdants dans les préjugés sexistes. L’autre jour, la directrice de la garderie a remis un tract à Doudou, pour un colloque sur l’éducation des jeunes enfants. En le lui donnant, elle a dit “tenez, ça intéressera sûrement votre femme”.

Et comme c’est un bon gars, il ne lui a même pas claqué la gueule.

(OMG, quelle tartine. Je finis en hypoglycémie. Je vais relire tout ça dans une heure et me rendre compte que c’est parfaitement incohérent. Pardon.)

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Maggie

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13

02 2010

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  1. Alix #
    1

    Toi, tu as lu le fameux article de Rue89 ;-).
    Tout à fait d’accord, ça m’a fait hurler. D’autant plus que c’est quand même pas très encourageant, ses commentaires, pour les femmes qui ne gagnent pas bien leur vie. Tout le monde n’a pas les moyens de payer une nourrice pour aller au boulot ou d’acheter les barils de lait en poudre (qui coûtent les yeux de la tête !). Je suis même certaine que pour les femmes les moins bien payées, ça leur coûterait moins cher d’élever leurs enfants, sans travailler, avec les minima sociaux, que de payer une nourrice ou même une crèche (enfin, la crèche c’est pas direct à la sortie de la maternité) et d’aller bosser pour un salaire de misère. Enfin, ces considérations bassement matérialistes mises de côté, je crois qu’il n’y a aucun mal à vouloir éviter aux enfants ce qui leur causerait d’éventuels problèmes de santé plus tard, et même à court terme.

  2. 2

    Merci pour ton article. Cela me rappelle une pensée d’il y a 3 ans (OMG !) http://www.journalordinaire.fr/blog/2007/03/08/si-j-etais-une-femme/

  3. 3

    Alors, déjà, comme d’hab, c’est remarquablement bien écrit et argumenté (j’aime aussi le coup de l’auto pub qui nous permet de revenir à tes vieux articles, pas poussiéreux du tout car on prend plaisir à relire comme un bon vieux bouquin)
    ensuite je te suit à 100%… Ou presque…
    Non, bien que se soit ton anniversaire, je te reprend la dessus :

    “Ceci m’a fait le même effet que les enfants que l’on n’a pas élevés dans la religion “pour leur permettre de choisir plus tard” : au final, ils ne connaissent rien et ne choisissent rien du tout”

    Je suis pile dans ce cas ( Sauf, que, à toi de me dire si je suis une exception, car on ne peux se servir d’un seul exemple pour absoudre l’idéologie agnostique et qu’il faut arrêter cinq minutes de déconner, on sait bien que la majorité des non religieux par choix des parents finissent athées :grin: )
    Quand j’ai eu 12 ans, ma mère m’a inscrite à un cours de cathé, elle pensait que ça m’aiderait à traverser les épreuves de santé du moment, et aussi que ça me donnerait un minimum d’instruction (mes grands parents catholiques étaient un poil agacés par mon manque d’instruction religieuse)
    Bon, j’ai essayé, ça ne m’a pas convaincue, sans doute, parce que je n’ai jamais vraiment pensé à dieu comme à une personne, mais plus à une force, celle de la nature, avec de vraies valeurs auxquelles je crois, et qui sont le point commun de bien des religions : le respect d’autrui, s’aimer les uns les autres, ne pas tuer, ne pas voler etc. Donc choisir une religion, alors que je ne vis pas en accord total avec l’une ou l’autre… et que je me sens bien comme ça… ? bof !
    Mon frère, dans le même cas, s’est fait baptiser à l’age de vingt ans, il a choisi sa religion en rencontrant plusieurs prêtres, curés, bonnes sœurs (beau défilé à la maison)

    bref c’est plutôt sur mon blog, que je devrais raconter ma vie !
    bon continue à écrire, c’est chouette ! :lol:

  4. Mumoldue #
    4

    J’ai bien rit,
    un journal …faisaient
    j’en ai déduis
    courraient
    soient soient soient
    quelques temps

    En relisant, essaie de corriger… je n’ai peut-être pas tout vu car mon but premier n’est pas d’épingler les phôtes de quelqu’un qui a écrit un jour qu’elle préférerait se laisser torturer plutôt que de s’abaisser à en faire…

  5. Maggie #
    5

    Catzou > tu es venu, tu as vu, tu es repartue. L’avantage indéniable d’avoir reçu une éducation religieuse, c’est la possibilité d’envoyer tout péter à l’adolescence. :evil:

  6. 6

    “étant une lectrice compulsive adepte des verso de paquets de céréales.”
    Copine :grin:
    Mais bon, je ne vais pas faire semblant de commenter, tu sais très bien que j’écris ça uniquement pour voir à quoi ressemble mon nouvel avatar !
    Bisous!

  7. Maggie #
    7

    Luthi > en fait tu pouvais aller voir ça sur tes précédents commentaires, mais je ne voulais pas me priver d’un nouveau com ^_^

  8. 8

    Et en fait je le savais déjà aussi…
    mais j’aime faire monter tes statistiques :lol:

  9. Me #
    9

    Comme ça, maintenant, quand on cherche sur google la preuve que l’homme est supérieur à la femme, ben c’est ici qu’on a la réponse. Merci Maggie :grin:

  10. 10

    je découvre ton blog, et cet article m’a mis sur les fesses. Il n’y a pas un seul point dans l’intégralité de ton article (qui n’est pas du tout incohérent) avec lequel je ne suis pas d’accord. J’ai envie de te faire la ola.

    Je reviendrai…

  11. 11

    fiou, une semaine pour tout lire (c’est beaucoup de mots pour moi), mais j’en suis venu à bout. Alors oui, c’est super, tout ce que tu mets, n’empêche si je trouve une femme gentille qui accepte de m’éépargner toutes les tâches ménagères, je prends (comment cela, je sors ? ah bon? bon… ok…) ;)

  12. Flo #
    12

    une des meilleures “critiques” de badinter que j’ai lu ^^
    merci !



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