La femme de ménage

Cette professionnelle compétente, dotée d’une ossature peu fluette, arbore une opulente chevelure rousse couronnant triomphalement une épaisse paire de lunettes, et ne prend jamais son service sans s’équiper fièrement de gracieuses bottes en caoutchouc.

Grâce à ses soins, l’immeuble est toujours impeccable, bien que nul ne sait pourquoi elle est obligée de bloquer l’entrée principale précisément à l’heure ou les résidents se rendent qui à la fac, qui au travail… et qui chez le kiné. Elle monte alors la garde près de son seau et nul n’ayant le courage de braver son autorité, tout le monde prend la porte de derrière (et doit faire le tour complet du bâtiment pour rejoindre son véhicule délicatement orné du givre matinal).

L’année dernière, j’étais bienheureuse: elle se s’intéressait à moi que pour s’assurer que je prenais le bon itinéraire. Elle me donnait presque l’impression d’être son ennemie, moi et mes semelles (pourtant immaculées).

Pour une raison indéterminée, elle s’est mise à m’adresser la parole au cours du mois d’août. Particulièrement affable, elle commença à me donner du bonjour, comment ça va? Ravie par ce revirement probablement hormonal, j’entrai dans son jeu et lui répondis sur le ton le plus courtois. Malheureusement, je m’aperçus rapidement qu’elle avait raté sa vocation: concierge lui aurait été plus seyant que serpilleuse. Elle voulu tout savoir: le numéro de notre appartement, et oh! vous êtes si jeune et déjà mariée, et où vous allez comme ça tous les matins. En l’occurrence, au mois d’août, j’étais en stage chez le radiologue du coin, ce qui l’impressionna grandement.

Seulement, elle continue de me harponner deux fois par semaine quand je sors à 8h20 pour revenir à 9h tapantes. Elle VEUT savoir où je vais. Je NE VEUX PAS le lui dire. D’abord parce que je ne veux pas qu’elle le sache, ensuite parce que je ne veux pas devenir sa meilleure copine comme la vieille gargouille du 8ème, celle dont on a cru qu’elle était morte, l’année dernière - et dont on a toujours pas de preuve qu’elle soit encore vivante, puisqu’elle n’est pas encore venue un dimanche matin pour nous demander si c’était bien nous qui jouions avec la perceuse.

Je me trouve désagréablement dépourvue en face des questions pressantes de la femme de ménage. Quoi inventer? Si je lui dis que je vais nourrir des chats abandonnés, elle va vouloir m’accompagner. Si je lui dis que je vais nourrir un petit garçon enfermé dans le local des poubelles, elle va appeler la police. Si je lui dis d’aller se faire voir et de s’occuper de son chien empaillé, elle va me dire qu’elle n’est pas Yolande Moreau dans “Amélie Poulain”.

Je n’ai d’autre solution, pour le moment, que de croiser les doigts dans l’ascenceur pour qu’elle soit en train de tenir la jambe de quelqu’un d’autre quand je traverserai le hall à pas de loup.

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Maggie

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11 2004

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