La fille aux craies

Voilà un texte imaginé pour l’atelier d’écriture. La contrainte était de le terminer par la phrase: “J’ai laissé le Pacifique derrière moi, là , sur le quai, juste en dessous d’un papier de bonbon.”

Un petit aperçu ici, puis le texte en entier sur la page 2.

La fille aux craies

C’était une drôle de petite fille.

Les autres gamines occupaient leurs récrés en sautant à l’élastique, à faire la roue sur la pelouse ou à comploter contre d’autres gamines ; mais la première fois que je l’ai vue, elle était seule, sous le préau, et elle dessinait par terre avec des craies.

Depuis le terrain de basket où je jouais avec les garçons, je pouvais la voir, accroupie sur le bitume, avec le bord de sa jupe qui ramassait la poussière de la cour ; mais je voyais pas son dessin. Je l’ai regardée en cachette des copains. Elle baissait la tête et je pouvais admirer ses longs cheveux roux mal tenus par un chouchou rouge délavé. Elle était pas dans ma classe. Autour d’elle, des gosses plus jeunes jouaient à la marelle et à passe-passe petit rat, sans la voir; et elle disait rien comme si son dessin l’avait avalée.

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Les autres gamines occupaient leurs récrés en sautant à l’élastique, à faire la roue sur la pelouse ou à comploter contre d’autres gamines ; mais la première fois que je l’ai vue, elle était seule, sous le préau, et elle dessinait par terre avec des craies.

Depuis le terrain de basket où je jouais avec les garçons, je pouvais la voir, accroupie sur le bitume, avec le bord de sa jupe qui ramassait la poussière de la cour ; mais je voyais pas son dessin. Je l’ai regardée en cachette des copains. Elle baissait la tête et je pouvais admirer ses longs cheveux roux mal tenus par un chouchou rouge délavé. Elle était pas dans ma classe. Autour d’elle, des gosses plus jeunes jouaient à la marelle et à passe-passe petit rat, sans la voir; et elle disait rien comme si son dessin l’avait avalée.

Quand la cloche a sonné, j’ai du rentrer avec les autres, et à l’heure des mamans, la craie avait été effacée par les petits de la maternelle qui avaient leur récréation après la nôtre. J’ai traîné un moment sous le préau, j’ai regardé les traces de couleurs qui restaient. Du bleu, du jaune, un peu de vert. Et puis ma mère est arrivée, et j’ai filé avant qu’elle m’engueule.

Dans la nuit, j’ai fait un drôle de rêve. Je marchais dans la ville avec la fille aux craies. Elle parlait pas. Les trams nous frôlaient. On entrait dans une boutique toute décorée de bleue qui s’appelait bizarrement ‘ Tomate ‘. Elle achetait une boule à neige avec une île dedans, pour me l’offrir. Puis une femme arrivait et m’accusait d’avoir volé la boule à neige. C’était un drôle de rêve.

J’ai été à l’école un peu plus tôt, je dormais encore un peu et je savais pas trop ce que j’avais rêvé, et ce qui était vrai. Après tout, en vrai non plus, j’avais pas entendu sa voix.

Je l’ai vue arriver dans une Mercedes bleu foncé conduite par un monsieur sérieux. Au lieu de la laisser devant le portail, il est descendu de la voiture et l’a prise par la main pour l’accompagner jusqu’aux maîtresses qui bavardaient au bord du terrain de jeu. Rapide comme un indien, j’ai fait le tour par derrière l’école pour me cacher dans leur dos et écouter ce qu’il allait leur dire.

C’était décevant parce qu’il a seulement dit bonjour, et à ce soir, chérie. Je savais toujours pas comment elle s’appelait, la fille aux craies. Mais une fois le monsieur parti, les maîtresses l’ont envoyée jouer plus loin et elle se sont mises à parler d’elle.

La petite nouvelle est très sauvage, elles ont dit. Une qui devait être sa maîtresse ‘ celle des CM1 - a dit qu’elle l’avait pas encore vu ouvrir la bouche.

Elle était nouvelle ; c’est pour ça que je ne l’avais jamais vue avant. Et elle était en CM1. Et j’avais envie d’aller lui demander son nom avant que les copains arrivent.

Comme un indien, j’ai couru sous le préau. Elle marchait en regardant par terre, et j’ai pensé qu’elle devait chercher un bon endroit pour dessiner. J’ai tapé sur son épaule, et j’ai demandé comment tu t’appelles.

Elle s’est retournée et elle j’ai vu ses yeux. Ils étaient gris foncé, j’en avais jamais vu des comme ça avant. On aurait dit des billes de métal. Elle avait pas l’air contente, et comme elle répondait rien tout et qu’elle continuait de me fixer, j’ai reculé et j’ai filé. Thomas est arrivé avec son ballon et j’ai commencé à tirer des paniers avec lui. De temps en temps, je regardais sous le préau. Elle était à nouveau accroupie, et elle dessinait.

Pendant la classe, je pensais à la fille aux craies. Je lui avais peut-être fait peur, peut-être parce que j’étais arrivé comme un indien.

J’ai pensé que je devais lui faire un cadeau pour qu’elle aie plus peur de moi. Et puis, elle m’avait offert une boule à neige. C’était en rêve, mais c’était presque vrai. J’ai pensé aux couleurs étalées sous le préau. Il lui manquait du rouge. J’allais lui offrir une craie rouge, et en plus c’était sûr qu’elle aimerait ça, puisque son chouchou était rouge.

A la cloche, on est tous sortis, et puis j’ai fait semblant d’avoir oublié mon goûter dans mon bureau pour retourner dans la classe. La maîtresse était déjà dehors, en train de papoter comme d’habitude. J’ai pris une craie rouge au tableau et je l’ai mise dans ma poche. J’aurais pas cru que ça serait si facile.

Dans la cour, les copains m’attendaient pour commencer un match, mais j’ai fait semblant d’avoir mal au ventre pour pas jouer. J’ai filé sous le préau. Elle était déjà là . Elle piétinait son vieux dessin. Ses tennis étaient pleines de poussière colorée.

J’ai marché vers elle, et quand j’ai été près d’elle, elle m’a encore fait les yeux en métal. Alors j’ai sorti la craie rouge de ma poche et je lui ai tendu. Elle a regardé la craie, puis moi, et encore la craie. C’est pour toi, j’ai dit. Elle l’a prise et elle m’a dit merci. Et puis elle a sorti un papier de sa poche à elle, et elle me l’a donné, sans rien dire. J’ai dit merci, je l’ai plié sans le regarder et je l’ai mis dans ma poche. J’osais plus rien dire alors j’ai filé, et j’ai couru aux WC pour lire le papier.

C’était une invitation pour aller à sa fête d’anniversaire. Je me suis demandé qui elle avait pu inviter d’autre, puisque je l’avais jamais vue jouer avec personne. Mais j’étais de bonne humeur. Je voulais juste que les copains le sachent pas. Il y avait pas son prénom sur le papier.

Ma mère a été d’accord pour m’emmener. Quand elle a vu l’invitation, elle a dit c’est un quartier chic, qu’est ce qu’ils font ses parents. J’en savais rien. Avec ma mère, on a acheté un carnet à dessin. Au cas où un jour elle voudrait dessiner ailleurs que par terre.

Le jour de la fête, on a du pas mal chercher la maison. Quand on a trouvé, ma mère m’a dit qu’elle repasserait me prendre à 17 heures. La sonnette du portail avait un petit écran, et quand j’ai appuyé sur le bouton j’ai vu une dame rousse comme la fille aux craies, elle m’a dit que je pouvais entrer, que Marcelline m’attendait. Je connaissais enfin son prénom.

Le portail a fait bzzz et je l’ai poussé. Un gros chien est venu vers moi en aboyant et en remuant la queue. Marcelline était derrière et elle criait au chien de me laisser tranquille, mais il était surtout content de me voir et me bavait sur les mains. Marcelline m’a dit bonjour, comment tu t’appelles. J’ai dit mon prénom et pour la première fois elle m’a souri.

Elle m’a dit merci pour la craie, je n’avais pas de rouge. Elle m’a montré tous ses animaux. Elle avait, en plus du gros chien, des poissons, une gerbille et une tortue. Après on a joué à dessiner sur les pavés de la cour. Il fallait faire un dessin différent sur chaque pavé. J’ai dessiné une île. Il n’y avait pas d’autre invité.

Quand ma mère est revenue pour me chercher, la maman de Marcelline l’a invitée à prendre un verre. Elle lui a demandé si je voulais venir jouer chez eux tous les mercredis. J’ai dit oui, et ma mère aussi. Marcelline arrêtait pas de sourire et de parler. Pour me dire au revoir, elle m’a fait un bisou sur la joue.

Le lendemain, j’avais de la fièvre.
Ma mère a pas voulu que j’aille à l’école. Elle a fait venir le docteur qui a dit que c’était une angine et que

je devais rester à la maison jusqu’à ce que ce soit parti.

Mon angine a duré une semaine, alors ma mère a du appeler chez Marcelline pour dire que je pourrais pas venir le mercredi. Quand elle a raccroché, elle avait l’air embêtée. Mais elle a rien dit.

Quand j’ai plus été malade, j’ai été à nouveau à l’école. J’ai cherché Marcelline et comme d’habitude elle était sous le préau. Mais elle dessinait pas, elle restait sans bouger contre le mur. J’ai filé lui parler, et elle m’a fait les yeux en métal, mais ils étaient mouillés en me voyant. Je vais partir, elle m’a dit, mon père a trouvé du travail dans le Pacifique. Dans les îles. Comme dans ma boule à neige, j’ai pensé. Sauf que dans le Pacifique il y a jamais de neige.

J’étais triste aussi, et j’ai demandé quand. Elle a dit : dans une semaine, on prend le train, et après
on prendra l’avion et le voyage va durer deux jours. Elle a dit que la maison était vendue, et que sa mamie voulait bien prendre le chien et la gerbille, mais pas la tortue parce que c’était froid, et les poissons, Marcelline les avait jetés dans l’étang de la ville. Elle a demandé si je voulais garder la tortue, elle s’appelait Amélie. J’ai dit oui, et que je pourrais dessiner sur sa carapace, si ça lui faisait pas mal. Elle a dit d’accord et elle a souri.

Ma mère a bien voulu m’emmener
à la gare le jour où Marcelline a pris le train avec ses parents pour partir dans le Pacifique. Mais comme elle voulait pas me gêner elle est restée dans le hall et moi je les ai suivis sur le quai. C’était voie B. Marcelline avait l’air toute petite entre sa maman qui avait les cheveux plus longs qu’elle, et son papa qui était toujours sérieux. Ils avaient pas beaucoup de bagages, puisqu’ils avaient tout vendu, c’était plus pratique pour voyager.

Elle m’a donné la tortue dans une boîte en carton, et puis elle a sorti un paquet de craies de sa poche. Sur le goudron au bord de la voie B, elle a dessiné une île et le soleil. Mais bien sûr, pas de neige. Elle a sourit encore et puis elle a dit : c’est pour toi, c’est le Pacifique. Elle avait des larmes et les yeux pas en métal du tout.

Et puis le papa de Marcelline a dit on y va, il a pris Marcelline dans ses bras et l’a mise dans le train, et il a laissé monter sa maman, et puis il est monté aussi. La porte du train s’est fermée, et le train a commencé à trembler, et puis il a démarré. J’ai vu Marcelline à une fenêtre qui me faisait coucou, elle j’ai compris qu’elle disait: au revoir, Gabrielle.

Le train s’est mis à rouler de plus en plus vite, et ça a fait du vent qui a soulevé des saletés qui traînaient par terre. Il y en a qui ont volé sur le dessin de Marcelline.

Et puis le train a disparu et je suis restée toute seule. J’ai pensé que ma mère m’attendait et je suis partie avec la tortue. J’ai laissé le Pacifique derrière moi, là , sur le quai, juste en dessous d’un papier de bonbon.

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02

12 2004

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