La (tant attendue) femme sans visage

Un ami, ça sert. Un ami est toujours d’accord pour vous faire goûter sa bière. Il accepte de jouer à Mario Kart alors que c’est justement le seul jeu où vous êtes capable de le battre. Il fait une heure de route pour venir vous tenir compagnie parce que c’est vendredi soir, que vous êtes toute sûle et que vous avez le cafard parce qu’il fait beau (hé oui). L’ami sait faire de sublimes pop-corns et a le pouvoir de vous faire manger du poulpe. Il vous fout dehors et reste garder Nibbler pour que vous puissiez aller au cinéma. Un jour, il vous a dit que vous ne deviez pas avoir honte et depuis, vous n’avez (presque) plus honte. Il sait que le copain de la vache, c’est le cheval, et pas le taureau (et il trouve ce genre d’idées tout à fait normal). Il peut même chanter “Mr Jones” - quand il est bourré.

Mais surtout, le véritable ami n’est pas seulement là quand il faut finir un pack de Quack. Il est là aussi dans les moments vraiment chiants (d’accord, il fait pas forcément exprès, mais quand même). Par exemple, pendant trois jours, il peut vous aider à chercher un logement ; vous accompagne d’agence en agence, d’appartement en appartement, et fournit même le GPS.

Chercher un appart, c’est un peu comme la Carte au Trésor. Après la recherche d’indices (sur internet), tu débusques les agences, passes des coups de fil, montes dans ton hélicoptère 4×4 rouge, consultes la carte le GPS, déjoues les déviations, écrase des mémés. Régulièrement, on gare le 4×4 rouge en double-file et un équipier descend en courant récupérer une clé auprès d’une réceptionniste revêche, remonte dans le 4×4 rouge qui redémarre avant que d’avoir eu le temps de refermer la portière.

- Décolle, décolle !

Car le temps t’est compté : tu dois rendre trois trousseaux de clés dans trois agences différentes pour 17h30, et ça circule mal sur le boulevard Gabriel Péry.

Tu visites des logements décrépis à mourir, des vieux chauffe-eau déglingués, des fenêtres qui ne ferment pas, des tapisseries dignes de la collection de l’Araignée, des parquets pleins de rhumatismes, des canalisations en plomb, des grille-pain en guise de radiateurs, des façades qu’ont le mascara qu’a coulé, des voitures brûlées sur les parking.

Et puis tu téléphones à deux ou trois locataires encore en place, la mère de famille qui déménage et qui “non non n’avait pas trop chaud au dernier étage, enfin, on s’habitue quoi, désolée pour les cartons, c’est le bazar”, le mec qui a un accent que tu ne comprends pas au bout du fil, on va dire que ça voulait dire “mardi 14h” et si il est pas là on essayera de voir par dehors si c’est du double vitrage, et enfin, cette dame.

Elle est très gentille au téléphone, s’excuse, enfin, son mari n’est pas là mais on peut passer, c’est en désordre mais elle s’excuse, c’est à dire qu’elle est handicapée, en début d’après-midi elle sort avec sa voisine, elles vont faire les courses, mais après elle sera là, c’est à dire qu’elle est handicapée, vous savez. Elle insiste tellement sur ce dernier point que ça a l’air très important, qu’elle soit handicapée, elle nous prévient avec tant de précautions que nous commençons à être un peu inquiets.

Quel genre de handicap peut bien mériter un tel avertissement quand on vient innocemment visiter un appartement ? Nous spéculons. Elle est dans une caisse à savon avec deux fers à repasser, et du coup le parquet est tout niqué. Elle a les bras à la place des oreilles et l’évier est à 1m50 du sol. Ou bien elle craint peut-être de nous faire peur ? C’est ça ! Son aspect est effrayant. Elle nous prévient pour que nous nous préparions psychologiquement. Nous frémissons. Et si elle n’avait tout simplement pas de visage ????

Toute la journée, tout en conduisant, courant, cherchant clés, repartant, roulant, visitant, fronçant le nez aux odeurs de moisi, jetant trousseaux au visage des réceptionnistes auparavant bercées d’espoir, nous nous briefons mutuellement sur la conduite à tenir quand la dame ouvrira la porte et que nous découvrirons son absence de visage. Il ne faudra pas dire des choses potentiellement vexantes comme “tirer les vers du nez”, “ça coûte un oeil”, “le bouche à oreille”, “figurez-vous” ou “pan dans ta face”. Rester naturel et ne surtout pas la dévisager, bien entendu. Plus le temps passe et plus nous nous sentons prêts, forts et nobles d’aller voir sans préjugés la femme sans visage, si gentille au téléphone malgré le sort qui la frappe, une leçon de vie et de courage !

C’est dire notre déception quand la porte s’ouvrit sur une dame tout à fait ordinaire, qui trainait un peu la patte certes, avec un visage bonhomme tout ce qu’il y a de plus banal. L’appartement était bien moisi mais elle nous expliqua qu’il allait être entièrement refait après son départ. Du coup, comme il était aussi bien situé et répondait à deux ou trois critères essentiels (ascenceur, chauffage gaz et doubles vitrages), c’est celui-ci que nous avons choisi. Nous ne rentrerions pas bredouilles après cette journée éprouvante.

Elle devait s’ennuyer un peu toute seule chez elle toute la journée, la dame sans visage. Elle nous retint longuement, nous montra sa collection de clowns en porcelaine (là, on a eu peur) et nous raconta la moitié de sa vie, et vous savez quoi ?  Elle était handicapée, figurez-vous !

About The Author

Maggie

Other posts byMaggie

Author his web site

27

11 2008

11 Comments Add Yours ↓

The upper is the most recent comment

  1. 1

    j’en reste sans voix…

  2. 2

    C’est madame Michou! :grin:
    Oui oui! Je la connais bien, elle est copine avec madame Gencène. Dans le temps elle n’était pas la dernière pour faire des bêtises, hein! :evil:
    Bon je m’excuse, mais là je dois aller chercher le pain pour madame Pichon qui est à moitié aveugle depuis la mort de son mari Gaston Pichon et c’est plus prudent que je fasse les courses à sa place. Heureusement que madame Plantu est rentrée de l’hôpital pour me prêter son chien parce que je n’y vois plus très bien non plus mais je n’ai pas peur des chien moi.
    Bon allez, je cause, je cause et je vous retarde.
    SMACK! :bave:

  3. 3

    (Moi ce que je note, c’est la présence de l’ascenceur. Excellent choix cet appart ^^)

  4. 4

    (Non parce que je t’ai pas dit mais je suis HANDICAPEE ! :perv: )

  5. Maggie #
    5

    Arf, c’est à dire que l’ascenseur, il est un étage sur deux, donc il reste un demi-étage à monter (ou descendre, c’est selon), et c’est justement pour ça que la dame devait déménager vu qu’avec sa patte folle elle y arrivait plus trop, merci les immeubles des années 60 :mad:

    Le plus-produit, c’est qu’il est minuscule (juste de quoi mettre une poussette et une maman rachitique) et tout le temps en panne (je suis là depuis 10 jours, j’ai déjà du téléphoner deux fois) :cry:

  6. Onii-chan #
    6

    :twisted: c’était pas les guêpes et les abeilles ?

  7. 7

    Arf ben tant pis, je me ferais tte petite (quoi j’ai pas la gueule rachitique ?!) et je viendrai te voir chez le voisin du dessous alors ^^

  8. Maggie #
    8

    Ben en fait c’est plus pervers que ça : l’ascenceur arrive ENTRE deux étages. Donc où que tu arrives, il faut soit monter, soit descendre un demi-étage pour entrer dans un appart :roll:

  9. 9

    Merci Maggie, le début de ma journée était bien merdique entre 3 parties d’expanz foirées, le café raté, la douche trop chaude, la pluie dehors, les chats qui m’ont fait un croche patte pour avoir leurs croquettes de merde :roll: et un echange de “ça va” complètement vide sur msn (tout va bien, on a evité le “quoi de neuf ma poule”)
    Bref, tout ça pour dire : voila, ce texte m’a arraché un sourire sur mno visage de “faut pas me parler” :wink: donc la journée n’est pas encore ratée

  10. Maggie #
    11

    Oui, je sais, en plus je le vois écrit partout sur les panneaux à côté de chez moi. Mais c’est la faute à Charles Péguy. Et toc.



  • Catégories

  • Méta

  • Archives



  • Google Analytics Alternative