Vieille connaissance
Cet été, je suis allée avec Ceth visiter des familles dont notre Math avait autrefois gardé les enfants, afin de lui préparer un petit film pour son enterrement de vie de jeune fille.
Math est la reine des cakes salés, et fut la reine du baby-sitting. Nous avions connecté ces deux données pour imaginer qu’elle débitait ses protégés en tout petits morceaux de jambon afin d’alimenter sa production de cakes.
Le thème de notre film était: “nous ne voulons pas finir en cakes salés!”. Les enfants que Math avait gardés, sous la bénédiction de leurs parents, se sont livrés pour nous à de petites saynettes improvisées dans lesquelles ils suppliaient Math d’avoir la vie sauve.
Il m’est arrivé une drôle de chose ce jour-là. Quand nous sommes allées voir la première famille, nous avons été accueillies à bras ouverts, et nous avons tourné dans le jardin. J’était concentrée sur le camescope, sur les enfants, sur la longévité de la batterie. Mais j’ai très vite ressenti une impression étrange. Sans savoir laquelle.
Ce jardin. Cette maison.
Elle m’a reconnue avant que je ne la reconnaisse. J’avais oublié cette grille, ce jardin, cette rue. J’y avais pourtant été invitée, pendant toute mon enfance, chaque année, à des anniversaires. Des anniversaires importants, les anniversaires successifs du petit garçon dont j’ai été amoureuse depuis le CE1 jusqu’à la sixième. Cette maison avait été très importante pour moi, tout le temps de mon enfance, cette espèce de première vie que l’on perd, mais qui demeure cependant quelque part, dans un autre espace-temps.
Depuis, le petit garçon est devenu grand, il a déménagé, j’ai aimé d’autres garçons et d’autres maisons. Retourner à cette adresse enfouie dans mon passé a été comme lire de très vieilles lettres de gens qu’on a failli oublier. Un bain de sentiments, de sensations fossiles soudain exhumés des strates anciennes de l’existence.
C’est dans cet état d’esprit que j’ai écrit “La fille aux craies”, qui est tellement de l’extrait concentré de moi que j’ai ensuite donné ce nom à ce blog. La maison de la fille aux craies, c’est cette maison-là.
Elle m’a reconnue avant que je ne la reconnaisse. Pourtant, de nous deux, c’est moi qui avait le plus changé…