Je ne suis pas mon Twitter, je ne suis pas ma Twingo

C’est marrant, on a beaucoup parlé de Copenhague, et puis une fois Copenhague terminé dans la chienlit, pouf, plus rien. Effectivement, c’était creux, c’était du baratin, ça n’a servi à rien. Je ne suis pas étonnée du tout mais je déplore de sentir autour de moi émerger l’idée comme quoi l’écologie, c’est creux, c’est du baratin et ça ne sert à rien. Comme si c’était une option, un truc auquel on a le droit de ne pas s’intéresser, un gadget qui fait chouette mais dont on se lasse, et dont l’échec de Copenhague aurait démontré la vacuité. J’enrage de trouver sur le net des mecs qui brandissent le climagate pour conclure que ça ne sert à rien de faire des efforts. Je fulmine après les cons qui poussent la mauvaise foi jusqu’à feindre de croire que parce qu’il neige en décembre, le réchauffement c’est de la foutaise.

Entendons nous bien. Je ne sais pas si la planète chauffe pour de vrai. Je ne sais pas, le cas échéant, si c’est de notre faute. Mais ce que j’entends, dans ces opinions contestataires, ce ne sont pas des raisonnements portés par l’amour de la vérité scientifique. Ce que j’entends, ce sont des arguments tordus qui débouchent toujours sur la conclusion que surtout, il ne faut rien changer à notre mode de vie. Pourquoi pas ? Moi, à la limite, que les calottes glaciaires fondent, que les eaux montent, je m’en fous : j’habite dans les Alpes, je trouverai toujours un bout d’alpage pour me mettre au sec. Que les ours polaires disparaissent ! Je n’en ai jamais vu que deux, au zoo de la Palmyre, dont l’un est sérieusement siphonné. Ça ne va pas changer ma vie ni empêcher les temps géologiques de continuer de s’écouler. Il y a déjà eu des disparitions massives d’espèces par le passé, et sans cela nous ne serions pas là pour le déplorer. Balançons de la merde dans l’atmosphère et dans l’eau potable, la vie s’adaptera et prolifèrera sous des formes encore inconnues. Nous ne détruirons pas la planète.

En revanche, j’ai parfaitement conscience que mon mode de vie est celui d’une grosse, grosse privilégiée. Je fais partie des 20% de glands qui bouffent 80% des ressources. J’ai une voiture, un téléphone portable, j’ai déjà pris l’avion - une quinzaine de fois. J’accumule quantité d’objets inutiles qui contiennent toutes sortes de métaux disponibles en quantité limitée, et qui consomment de l’électricité : deux pc, un téléviseur, un lecteur dvd, une wii, une DS, un caméscope… Je mange des choses qui viennent du bout du monde, parfois cultivées par des gens qui, pendant ce temps, ne font pas pousser de quoi manger pour eux : des bananes, du chocolat, du sucre… Non seulement je ne manque de rien, mais j’ai tout en excès : des meubles, des fringues - je pourrais dire de la bouffe si je n’avais pas malgré tout un IMC minable. Je suis conditionnée pour avoir besoin de trucs inutiles. Comme absolument toutes les personnes que je connais.

Surprise : toute la planète ne peut pas adopter notre mode de vie, y’a pas la place, y’a pas assez. Pas assez de terres cultivables pour faire grossir les hamburgers - et encore moins pour faire rouler des voitures aux agrocarburants pour tout le monde. Pas assez d’eau pour fabriquer des Pampers pour des milliards de petits culs. Pas assez d’oxyde d’indium pour fournir des écrans LCD à toute la planète. Alors pour ne pas avoir à changer, nous préférons clore le débat en disant “de toute façon, le problème c’est la démographie, on est trop sur Terre*”. Comme ça, soit on fait semblant de croire qu’un jour, quand tous ces sauvages de sous-développés auront adopté la contraception, on sera beaucoup moins et alors tout le monde vivra comme nous, en gaspillant, ce qui nous épargne confortablement le changement ; soit on peut s’indigner, accuser les écolos de malthusianisme - et ça peut aller très loin, loi du plus fort, totalitarisme et compagnie - et grâce à ce repoussoir, on se dispense toute remise en question. J’oublie aussi le classique “à quoi ça sert que je fasse des efforts, l’industrie/l’agriculture/ma cousine pollue bien plus que moi”. C’est pas moi, c’est ma sœur !

Au début, j’ai cultivé ma sensibilité - et ma culpabilité - écologique dans l’optique naïve de préserver les petits oiseaux. Et puis, à force d’avoir de mauvaises lectures, je me suis petit à petit rendu compte que l’enjeu est tout à fait ailleurs. Qu’être écologiste, vraiment écologiste, ce n’est pas une question d’ampoule à économie d’énergie ou de fermer le robinet pendant qu’on se lave les dents. Que la nature, c’est important, mais bien moins que les humains, qui sont les seuls à ne pas être sûrs de s’en sortir dans l’histoire. Que le seul but du truc, c’est de virer le gaspillage de nos vies, et que la motivation, ce ne sont pas les ours polaires, mais le respect de l’autre et le partage. Que pour ne pas partager, nous sommes près à tout croire, à tout déformer, à tout nier. Rien ne sert d’attendre une loi sur le carbone ou je ne sais quel miracle venu d’en haut. Ça ne dépend que de nous-même.

Il ne faut pas acheter de voiture verte : il faut se passer de la voiture, zapper la pub, refuser la société de consommation ; et ce n’est pas pour sauver les papillons, c’est pour faire justice à tous les Hommes, et à soi-même. Car - et je cite bêtement un film - nous ne sommes pas notre iphone, nous ne sommes pas notre Nespresso, nous ne sommes pas notre futon Ikea. Je fais l’expérience de me passer totalement de télé depuis deux ans. Quand je suis à l’hôpital ou chez des amis, et que je vois une page de pub, mes yeux sont neufs. Je vois à quel point on nous prend pour des cons. Essayez de regarder une pub comme si vous n’en aviez jamais vu, vous allez comprendre. Je suis sevrée et vraiment heureuse de l’être.

Je suis aussi sevrée de la voiture. Chaque fois que je la prends, je ressens l’absurdité de me promener dans une boîte en métal, au milieu d’autres boîtes en métal, dans un monde ou tout a été repensé pour les boîtes en métal. Je ne la considère plus comme Margot-la-Twingo-mon-bébé-à-moi. C’est une chose qui reste une chose et qui n’apporte pas l’épanouissement**. Mais mes progrès s’arrêtent là. Je n’arrive pas à me débarrasser de mon portable. Je n’achète presque rien d’occasion comme j’y aspire pourtant. Je ne peux pas m’empêcher de rêver que je retourne à San Francisco. J’use et abuse d’internet qui consomme d’énormes ressources pour faire tourner ses serveurs. Je suis encore une privilégiée dans ma tête. Quand on a grandi en étant le chouchou de la famille, c’est dur d’admettre qu’on ne vaut pas mieux que les autres.

* sur ce sujet, lire le passionnant cahier de l’IEESDS de juillet-août 2009, beaucoup plus intelligent et convaincant que moi
** private joke

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Maggie

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06

01 2010

9 Comments Add Yours ↓

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  1. 1

    En te lisant, j’ai failli jeter mon iPhone tout neuf
    (C’est faux)

  2. Maggie #
    2

    Je ne l’ai pas cru une seconde :razz:

  3. mamou #
    3

    Faux ! La télé tu t’en est passé pendant vingt ans ils me semble !!

  4. 4

    clap clap clap, voilà un billet que je trouve très bien écrit, très vrai et suffisamment drôle pour que je réussisse à le lire jusqu’au bout, et je partage ton point de vue.

  5. Flo #
    5

    j’aime beaucoup ce billet, qui exprime beaucoup mon point de vue.
    “vivre simplement que d’autres puissent simplement vivre” gandhi je crois.
    mais jamais que j’ai un peu de compassion pour les ours blancs ou autres koala, me dire que c’est la faute des hommes… cela me rend triste (c’est con je devrais pas).
    bref moi je regarde encore la télé mais on est un couple sans voiture.

  6. 6

    j’y crois quand meme, que de manger ses propres légumes, prendre le bus au lieu de la voiture, mettre des ampoules éco, acheter de l’occasion plutot que du neuf, retaper du vieux pour faire du neuf, tout ça quoi, ne fait pas de nous des écolos mais fais de nous des putains de chanceux qui acceptent un tout petit peu de faire des efforts…
    après le partage, j’vois pas, à part une bonne grosse révolution, mais on sera bien assez cons pour zigouiller tout le monde aux frontières
    Alors je dirais que ça me fais penser à ça : le gros fumeur qui te dit, quand tu lui fait remarquer que fumer autant ne le mènera pas bien loin “Il faut bien mourir de quelque chose” te répondra t’il, sourire aux lèvres… et le cancer arrive, et là, le gars/la donzelle n’assume plus du tout son vis. Il pourra pas dire qu’on l’aura pas prévenu, et il se rendra compte de sa connerie tout en pensant à ce monsieur, qui fumait des havanes, et qui est mort à 102 ans…

    Remise en question ? on verra bien… quand on aura usé la terre par les 2 bouts

  7. 7

    je voulais dire “vice” mais je crois que tu avais compris :!:

  8. 8

    Et en plus, c’est bon pour la santé: je n’ai jamais passé mon permis de conduire et ne circule qu’à vélo (mais oui, je suis privilégié car j’habite paris intra-muros).

  9. Mumoldue #
    9

    :?: :!: A Chondre :
    J’ai toujours eu beaucoup de compassion pour les pauvres parisiens :sad: et suis atterrée qu’ils puissent se considérer comme des privilégiés… Les citadins des grandes villes ne sont déjà pas gâtés et Paris est la pire des villes françaises.
    :cool: Moi j’ai la chance de respirer les vapeurs de fumier d’animaux divers et je préfère déraper sur une authentique bouse de vache plutôt que de slalomer entre les déjections de canins plus ou moins dégénérés “éduqués” par des maîtres en mal de vraie nature…



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